• 0 Votes
    1 Messages
    72 Vues

    Dans le contexte d’un litige opposant l’UFC-Que choisir à Steam

    En septembre 2019, le Tribunal de Grande Instance de Paris donnait raison à l’UFC-Que Choisir qui avait attaqué Valve (l’éditeur de Steam) sur la vente de jeux d’occasion dématérialisés. Sans surprise, l’éditeur avait fait appel de cette décision. La cour d’appel a tranché en faveur de Valve, se prononçant contre la revente des jeux vidéo dématérialisés : « Le marché des copies immatérielles d’occasion des jeux vidéos risque d’affecter beaucoup plus fortement les intérêts des titulaires de droit d’auteur que le marché d’occasion des programmes d’ordinateur ».

    La mise en demeure puis l’assignation en justice

    L’UFC-Que Choisir a analysé les conditions générales des plateformes de jeux en ligne. À la suite de ses investigations, cinq plateformes de jeux en ligne ont reçu des mises en demeure les sommant de modifier certaines clauses préjudiciables aux intérêts des consommateurs. Cependant, la société Valve, éditrice de la plus importante (derrière la plateforme Steam) a refusé de supprimer 12 clauses que l’association des consommateurs a considérées comme étant abusives/illicites. Aussi, le 17 décembre 2015, elle a décidé de l’assigné en justice devant le Tribunal de Grande Instance de Paris.

    Les raisons sont très claires :

    UFC-Que Choisir

    Transfert/Revente : Valve ne passe pas le niveau

    Si le transfert ou la revente de jeux acquis licitement peut apparaître comme une mesure de bon sens surtout au regard du prix de vente des jeux «blockbusters» à leur sortie (1), Valve le refuse expressément dans ses conditions générales : « l’utilisateur n’est pas autorisé à vendre ou facturer ou transférer son droit d’accès et/ou d’utilisation des contenus et services accessibles par l’intermédiaire de la plateforme ». Ce décalage entre l’univers physique et numérique est incompréhensible. Cette interdiction, également pratiquée par nombre de plateformes, est d’autant plus surprenante qu’aucune décision de justice n’interdit la revente sur le marché de l’occasion de jeux achetés en ligne et que le juge européen a même posé explicitement le principe de la possible revente de logiciels qui, rappelons-le, constituent une partie intégrante d’un jeu vidéo.

    Pas de Game over pour le non-respect de vos données et de votre porte-monnaie

    C’est sans complexe que Valve entend s’exonérer, très largement, y compris en cas de faute lourde, des responsabilités auxquelles elle est tenue par la loi, notamment s’agissant de la sécurité des données personnelles des utilisateurs de sa plateforme. Cette restriction contractuelle est d’autant plus problématique pour les consommateurs que Steam est une cible de choix pour les hackers (77 000 comptes seraient piratés chaque mois).

    De même, si les fonctionnalités de la plateforme Steam permettent aux joueurs de créer des contenus (comme des objets/personnages supplémentaires), Valve nie, dans ses conditions générales, le respect des droits de propriété intellectuelle des utilisateurs créateurs en s’arrogeant la possibilité de réutiliser ces contenus à sa guise.

    Point plus surprenant, Valve met à disposition des joueurs un porte-monnaie virtuel personnel, alimenté par de l’argent bien réel. Mais si jamais le compte est clôturé, il sera impossible de récupérer les fonds qui y ont été versés.

    Comme si cela ne suffisait pas, Valve impose l’application du droit luxembourgeois. Nous avons certes la même monnaie mais pas les mêmes droits ! Or qui pourrait imaginer que le consommateur français sera à même de manier la loi luxembourgeoise et défendre ainsi ses droits ?

    Le tribunal autorise les utilisateurs de Steam à revendre leurs jeux dématérialisés

    En septembre 2019, après des années de bataille judiciaire, le tribunal de grande instance de Paris a tranché en faveur de l’association des consommateurs.

    Selon le tribunal, Steam vend des licences de jeu et même si les jeux Steam sont purement numériques, les consommateurs devraient avoir le droit de faire ce qu’ils désirent de leurs achats, y compris les revendre si l’envie leur prenait. Le tribunal a également reproché à Valve d’autres pratiques, comme le fait de conserver les fonds du porte-monnaie électronique Steam des joueurs (ou Steam Wallet) lorsque ces derniers quittent la plateforme en ligne du groupe, le manque de clarté des politiques de modération et le refus d’accepter la responsabilité si le PC des utilisateurs venait à être endommagé par des logiciels (même des bêta) vendus sur Steam.

    D’après la justice française, « l’abonnement à la souscription (d’un jeu) effectué par l’utilisateur, dont il est fait état dans les conclusions de la société VALVE (…) consiste en réalité en un achat, le jeu étant mis à la disposition dudit utilisateur pour une durée illimitée. Il ne peut donc s’agir d’un “abonnement” - au sens usuel du terme -, mais de la vente d’un exemplaire d’un jeu vidéo, réalisé moyennant un prix déterminé à l’avance et versé en une seule fois par l’utilisateur ».

    En accord avec l’article L131-1 du Code de la propriété intellectuelle, le tribunal a même invalidé la clause de Valve qui accordait à la société la cession des droits d’auteur, par avance et pour l’avenir, de l’ensemble des créations futures sur sa plateforme et qu’un joueur ne peut refuser s’il veut utiliser Steam. Le tribunal français a sommé Valve de publier un lien pointant vers l’intégralité du jugement sur steampowered.com et ses applications sur tablettes et mobiles pour une durée de trois mois. Le géant américain a enfin été condamné à payer une amende de 30 000 euros couvrant les dommages et intérêts pour le préjudice occasionné à l’intérêt collectif des consommateurs et les frais.

    Les implications potentielles d’un tel jugement

    Cette décision pourrait servir de déclencheur pour la conduite de revendications similaires dans toute l’UE, et peut-être même ailleurs dans le monde. Entre-temps, UFC Que Choisir a déclaré qu’elle prévoyait de s’attaquer directement à d’autres produits et plateformes numériques.

    Il faut noter que le passage au modèle de l’abonnement aura des implications majeures pour les jeux eux-mêmes : le mode solo hors-ligne de certains jeux pourrait ne pas survivre à cette transition. Par ailleurs, le modèle actuel de « service en direct » fortement soutenu par Ubisoft et d’autres grands éditeurs où un jeu vidéo est vendu assez cher (par exemple 60 USD) pour ensuite être supporté avec du contenu additionnel gratuit pourrait tout aussi bien disparaître avec des reventes numériques qui réduisent les profits.

    Mais si la possibilité de revendre des jeux dématérialisés devenait une obligation légale au sein de l’UE et ailleurs, il serait intéressant de voir quelles répercussions cela pourrait avoir sur une industrie qui a déjà adopté un modèle basé sur l’abonnement avec des services tels que Microsoft Xbox Game Pass et Electronic Arts Origin. La décision des grands acteurs de ce marché de favoriser le modèle basé sur les abonnements semble motivée par un désir de couper la revente de jeux via GameStop et d’autres détaillants physiques.

    Il serait tout aussi intéressant de voir comment le dénouement de cette affaire pourrait affecter les nouveaux venus sur le marché du Cloud Gaming comme Google avec son service Stadia, sachant que ce que vous payez avec un abonnement Stadia, c’est essentiellement l’accès aux serveurs de Google. Bien évidemment, la filiale d’Alphabet n’est pas un cas isolé puis que d’autres acteurs tels qu’Amazon et Microsoft scrutent avec attention ce nouveau modèle d’entreprise.

    Peut-être que Steam, Epic Games Store, GOG et d’autres plateformes en ligne dédiées à l’achat de jeux pourront trouver un moyen de faire fonctionner la revente de jeux dématérialisés. Si Valve, par exemple, parvenait à faire de l’argent grâce à la revente de jeux dématérialisés et faire profiter les éditeurs de son initiative, cela pourrait être une chose mutuellement bénéfique à la fois pour les consommateurs, les plateformes en ligne d’achat de jeux et les éditeurs. Quoi qu’il en soit, il est clair que l’industrie du jeu vidéo et la distribution numérique de divertissements en général sont appelées à évoluer. À quel rythme, seul l’avenir nous le dira !

    Quoiqu’il en soit, Valve a indiqué qu’il allait faire appel comme l’a confirmé Doug Lombardi, responsable marketing chez l’éditeur de jeux vidéo : « Nous sommes en désaccord avec la décision du tribunal de grande instance de Paris et nous ferons appel. La première décision sera donc sans effet sur Steam tant que l’affaire ne sera pas rejugée ».

    Coup de théâtre, la justice française s’oppose désormais à la revente des jeux dématérialisés

    La Cour d’appel de Paris a invalidé la conclusion du tribunal de grande instance.

    Dans son jugement, le tribunal considérait que l’ayant droit du jeu « ne peut plus s’opposer à la revente de cette copie (ou exemplaire) même si l’achat initial est réalisé par voie de téléchargement ». Quant à l’éditeur, il ne peut « s’opposer à la revente de cette copie ou exemplaire, nonobstant l’existence de dispositions contractuelles interdisant une cession ultérieure. »

    Mais selon la cour d’appel, cette clause est, au contraire, parfaitement licite. Si la loi autorise la revente de la licence d’un logiciel informatique, les jeux vidéo, en tant qu’œuvres artistiques, posent également la question du droit d’auteur. Un point essentiel aux yeux des juges d’appel, qui estiment que l’ouverture d’un tel marché de l’occasion nuirait aux ayants droit.

    Dans son arrêt, la cour a marqué une distinction quant aux jeux vidéo dématérialisés et d’autres programmes, en relevant que « le marché des copies immatérielles d’occasion des jeux vidéo risque d’affecter beaucoup plus fortement les intérêts des titulaires de droit d’auteur que le marché d’occasion des programmes d’ordinateur. »

    L’association UFC-Que Choisir, spécialisée dans la défense des intérêts des consommateurs, n’a pas réagi à cet arrêt ni sur son site web ni sur son compte Twitter. Il lui serait possible de porter l’affaire devant la Cour de cassation, pour tenter de pointer une erreur de droit dans l’arrêt de la cour d’appel de Paris. Mais les faits ne sont plus discutables.

    Une décision en contradiction avec la position européenne ?

    En 2016, Nicolas Herzog, avocat informatique, portait à la connaissance du public une affaire sur la revente d’occasion de licence de logiciel, notant que la CJUE (Cour de Justice de l’Union Européenne) confirmait le principe posé par l’arrêt Usedsoft. Ci-dessous, l’affaire, son analyse et la conclusion comme exposé par l’avocat.

    En Lettonie, MM. Aleksandrs Ranks et Jurijs Vasiļevičs sont poursuivis au pénal pour, notamment, vente illégale en bande organisée d’objets protégés par le droit d’auteur et utilisation intentionnelle illégale de la marque d’autrui. Ils auraient en effet vendu en 2004 sur une place de marché en ligne des copies de sauvegarde de différents programmes d’ordinateurs édités par Microsoft et protégés par le droit d’auteur (comme notamment des versions du logiciel Microsoft Windows et de la suite bureautique Microsoft Office). Le nombre d’exemplaires de programmes vendus étant estimé à plus de 3 000, le montant du préjudice matériel causé à Microsoft par les activités de MM. Ranks et Vasiļevičs est évalué à 265 514 euros.

    Dans ce contexte, la Rīgas apgabaltiesas Krimināllietu tiesu kolēģija (cour régionale de Riga, collège des affaires pénales, Lettonie), saisie de l’affaire, demande à la Cour de justice si le droit de l’Union doit être interprété en ce sens que l’acquéreur de la copie de sauvegarde d’un programme d’ordinateur, enregistrée sur un support physique qui n’est pas celui d’origine, peut, en application de la règle de l’épuisement du droit de distribution prévue dans une directive de l’Union, revendre une telle copie lorsque, d’une part, le support physique d’origine de ce programme, délivré à l’acquéreur initial, a été endommagé et que, d’autre part, cet acquéreur initial a effacé son exemplaire de cette copie ou a cessé de l’utiliser.

    Dans son arrêt de ce jour, la Cour considère qu’il résulte de la règle de l’épuisement du droit de distribution que la personne qui détient le droit d’auteur sur un programme d’ordinateur (en l’espèce, Microsoft) et qui a vendu, dans l’Union, la copie de ce programme sur un support physique (tel qu’un CD-ROM ou un DVD-ROM) avec une licence d’utilisation illimitée ne peut plus s’opposer aux reventes ultérieures de cette copie par l’acquéreur initial ou les acquéreurs successifs, nonobstant l’existence de dispositions contractuelles interdisant toute cession ultérieure.

    Toutefois, la question posée vise l’hypothèse de la revente de la copie d’un programme d’ordinateur d’occasion, enregistrée sur un support physique qui n’est pas celui d’origine (« copie de sauvegarde »), par une personne qui en a fait l’acquisition auprès de l’acquéreur initial ou d’un acquéreur ultérieur.

    La Cour relève que la directive accorde au titulaire du droit d’auteur sur un programme d’ordinateur le droit exclusif d’effectuer et d’autoriser la reproduction permanente ou provisoire du programme, en tout ou en partie, par quelque moyen et sous quelque forme que ce soit, sous réserve des exceptions spécifiques prévues dans la directive. L’acquéreur légitime de la copie d’un programme d’ordinateur, mise dans le commerce par le titulaire du droit ou avec le consentement de celui-ci, peut donc revendre d’occasion cette copie pour autant qu’une telle cession ne porte pas atteinte au droit exclusif de reproduction garanti au titulaire et que tout acte de reproduction du programme soit autorisé par le titulaire ou relève des exceptions prévues dans la directive.

    À cet égard, la Cour rappelle que la directive prévoit qu’une personne ayant le droit d’utiliser un programme d’ordinateur ne peut être empêchée par contrat de faire une copie de sauvegarde de celui-ci dans la mesure où une telle copie est nécessaire pour cette utilisation. Toute disposition contractuelle contraire à cette règle serait nulle et non avenue.

    La réalisation d’une copie de sauvegarde d’un programme d’ordinateur est donc subordonnée à deux conditions. Cette copie doit, d’une part, être réalisée par une personne qui est en droit d’utiliser ce programme et, d’autre part, être nécessaire à cette utilisation.

    Selon la Cour, cette règle, qui établit une exception au droit exclusif de reproduction du titulaire du droit d’auteur sur un programme d’ordinateur, doit faire l’objet d’une interprétation stricte.

    Il s’ensuit qu’une copie de sauvegarde d’un programme d’ordinateur ne peut être réalisée et utilisée que pour répondre aux seuls besoins de la personne en droit d’utiliser ce programme et que, partant, cette personne ne peut pas, quand bien même elle aurait endommagé, détruit ou encore égaré le support physique d’origine de ce programme, utiliser cette copie aux fins de la revente du programme d’occasion à une tierce personne.

    La Cour constate donc que la directive doit être interprétée en ce sens que, si l’acquéreur initial de la copie d’un programme d’ordinateur accompagnée d’une licence d’utilisation illimitée est en droit de revendre d’occasion cette copie et sa licence à un sous-acquéreur, il ne peut en revanche, lorsque le support physique d’origine de la copie qui lui a été initialement délivrée est endommagé, détruit ou égaré, fournir à ce sous-acquéreur sa copie de sauvegarde du programme sans l’autorisation du titulaire du droit.

    Pas exactement la même chose dans le cas d’espèce

    Dans le cas qui oppose l’UFC-Que Choisir à Valve (les jeux vidéos), il est plutôt question d’attaquer les clauses de contrat de licence (la voie qu’a d’ailleurs choisit l’association lorsqu’elle a entamé ses enquêtes).

    De plus, il faut noter quelques différences techniques.

    Par exemple, la Cour considère qu’il résulte de la règle de l’épuisement du droit de distribution que la personne qui détient le droit d’auteur sur un programme d’ordinateur et qui a vendu, dans l’Union, la copie de ce programme sur un support physique (tel qu’un CD-ROM ou un DVD-ROM) avec une licence d’utilisation illimitée ne peut plus s’opposer aux reventes ultérieures de cette copie par l’acquéreur initial ou les acquéreurs successifs, nonobstant l’existence de dispositions contractuelles interdisant toute cession ultérieure. Dans le cas d’espèce, les jeux sont dématérialisés, ils ne sont pas vendus sur un support physique.

    De plus, le droit d’auteur, fenêtre vers laquelle se tourne la Cour d’appel de Paris pour invalider la conclusion du TGI de Paris, est brandi par les éditeurs à succès pour s’assurer une rente sur leurs jeux. Certains internautes regrettent le fait qu’il soit mis en avant, au détriment du droit des consommateurs. Trouver la bonne stratégie se transforme en véritable exercice d’équilibriste pour les politiques et les juges. En effet, si un utilisateur pouvait revendre son jeu dématérialisé une fois terminé, pourrait-il le vendre une seule fois (donc à une personne) ? Qu’est-ce qui l’empêcherait de le vendre plusieurs fois ? De plus, une revente crée-t-elle un manque à gagner pour l’entreprise derrière le jeu ?

    Sources : Cour d’appel de Paris, jeux.developpez.com

  • 1 Votes
    1 Messages
    87 Vues

    L’apparition des NFT dans le monde artistique provoque quelques mouvements circonspects. Au point que le Conseil Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistique a mandaté Jean Martin, avocat à la Cour, pour une mission bien précise : évaluer ce que les jetons non fongibles impliqueraient, en regard du droit d’auteur. Et de confirmer que le domaine public devient alors une véritable manne…

    00ae931f-5538-4b8d-8623-e3dccd5639f5-image.png

    Le recours aux NFT pour commercialiser de nouveaux produits numériques fait des heureux : Nike, Gucci et d’autres produisent des offres largement médiatisées — principalement en raison de leur nouveauté. L’industrie du livre a vu éclore plusieurs tentatives tant d’auteurs — Frank Miller, pour exemple — que de groupes éditoriaux — on pensera à Marvel ou plus près de chez nous, les éditions Slatkine & Cie. L’ouvrage de Laurent Gayard, Comprendre les NFT et les métavers avait été proposé en cinq exemplaires NFT, lors de sa parution en France.

    Déployer des outils

    Le réservoir économique que représente les NFT s’explore chaque jour un peu plus. Et dans la promotion du livre, les expérimentations et encouragements abondent : l’Alliance of Independent Authors proposait en mars dernier un podcast dédié. Qu’apporte cet outil aux auteurs indépendants, comment s’en emparer facilement et développer de nouvelles communautés de lecteurs : autant de sujets qui interrogent, et pas nécessairement les plus geeks.

    Or, le domaine public — autre abreuvoir bien connu pour l’industrie du livre — fournit de nouveaux exemples de déclinaisons. La société Tezos Farmation a ainsi réutilisé Animal Farm, de George Orwell, dans une version spécifique, découpée par la suite en 10.000 exemplaires, soit autant de titres NFT.

    Le CSPLA ne dit pas autre chose : « *En ce qui concerne les œuvres et objets appartenant au domaine public, la création de JNF est susceptible d’être réalisée par tout un chacun, en raison de l’absence de droit sur l’image des biens des personnes publiques, sauf exception de l’image des immeubles des domaines nationaux. *»

    Avec une réticence toutefois : « Bien qu’ils ne puissent créer un droit d’accès unique aux œuvres des collections publiques ou leurs reproductions, les JNF interrogent la politique forte d’ouverture des données publiques et d’accessibilité des collections publiques à tous. »

    Fonds de commerce

    En France, comme ailleurs, l’exploitation marchande d’œuvres versées dans le domaine public n’implique donc aucune autorisation des ayants droit — sauf invocation du droit moral. Par ailleurs ni la notion d’inaliénabilité ni celle d’imprescriptibilité ne sauraient «* faire obstacle à la production de jetons sur les œuvres appartenant au domaine public* », poursuit le CSPLA. (cf sur ce point l’Article L.2111-1 du code général de la propriété des personnes publiques)

    Mais la dérive s’en vient rapidement : « La combinaison de la politique d’ouverture des données et de l’inaliénabilité et de l’imprescriptibilité du domaine public conduit ainsi à ce que quiconque puisse photographier, reproduire, ou utiliser une reproduction existante d’une œuvre pour émettre un jeton non fongible. »

    Sous réserve d’une part de l’attribution d’une licence lorsqu’elle est nécessaire, et du paiement éventuel d’une redevance sur le fondement notamment de l’article L. 324-2 du code des relations entre le public et l’administration et d’autre part des limites tenant à la réutilisation des données publiques grevées par des « droits de tiers ». Soit.

    Un domaine public commercialisable

    Le Canada a récemment étendu la durée de protection du droit d’auteur, passée de 50 à 70 ans. Si la mise en application n’a pas encore de date précise, la perspective est là. Mais cette extension de la lutte du copyright contre le domaine public ne fait que repousser l’échéance. Et c’est là que les ayants droit tendront l’oreille attentivement.

    Prenons l’exemple de Winnie l’ourson, de AA Milne et EH Shepard (illustrateur), le livre sorti en 1926 est finalement entré dans le domaine public au 1er janvier dernier. Et rapidement, une adaptation s’est fait connaître, puisant dans le personnage et son univers l’inspiration à… un film d’horreur.

    Mais pour l’avenir, il semble qu’une fenêtre de tir se profile : en construisant des projets artistiques qui seront produits en NFT, les ayants droit jouiraient d’une nouvelle forme d’exploitation commerciale. Laquelle introduit un prolongement du droit d’auteur (ici, du copyright) sur les œuvres ainsi créées. Le tout s’articulerait, nécessairement, sur un appel au public, impliqué dans cette démarche pour en garantir la réussite. Et le certificat d’authenticité que garantissent les NFT devient ensuite le gage d’une propriété unique.

    Les NFT serviraient alors à prolonger les perceptions de droits dans le monde numérique, au bénéfice des ayants droit — tout en contrecarrant, pour partie, l’exploitation par le public, privé de son domaine. Les héritiers d’œuvres et de patrimoines littéraires devenus de lourdes licences trouveraient là un modèle économique supplémentaire dans l’univers numérique. Le capital sympathie des personnages ferait alors le reste…

    Des usages à imaginer…

    Mais quid du livre, plus spécifiquement, dans l’examen qu’en fait le CSPLA ? Puisant dans différents exemples — dont ActuaLitté s’était largement fait l’écho — le Conseil note que le recours aux NFT en France est encore rare. Sans exclure que ce modèle donne «* lieu à plusieurs cas d’usage susceptibles d’intéresser les éditeurs comme les auteurs eux-mêmes* ».

    D’une part, à travers un préfinancement de l’œuvre à venir — sur le modèle du crowdfunding —, de l’autre, avec le recours à une authentification d’exemplaires originaux. Deux usages déjà en vigueur, en somme.

    En outre, les NFT seraient exclus du champ de la décision de décembre 2019 de la Cour de justice de l’Union européenne : cette dernière interdisait la revente de biens numériques, sous la forme d’offres de seconde main. Ainsi, il reste illégal de revendre des livres numériques d’occasion.

    « L’épuisement du droit de distribution ne s’exerce ainsi qu’à l’égard de la commercialisation des supports tangibles d’une œuvre, qui ne saurait par conséquent concerner la mise à disposition, aux fins de téléchargement, de fichiers numériques contenant des œuvres protégées, sauf à considérer que de tels fichiers puissent constituer des supports tangibles, hypothèse exclue par la Cour de Justice », insiste le CSPLA.

    Le Conseil présente par la suite différentes conclusions, accompagnées d’une vingtaine de recommandations encadrant les usages. Entre autres, à plus ou moins long terme, « procéder à une qualification législative définitive des JNF pourrait être souhaitable, en fonction de leurs cas d’usages persistants ».

    En outre, des questions environnementales se posent : le système de blockchain reste énergivore, avec une empreinte environnementale préoccupante pour l’avenir.

    Le rapport de mission est disponible en intégralité ici

    Source : actualitte.com